Au coude-à-coude avec les hommes

MARIKO AISSATA KABA, HYDRAULICIENNE

Au coude-à-coude avec les hommes

Responsable du Secrétariat Technique au Service des branchements à la Direction des Etudes et Travaux, Mariko Aïssata Kaba, au seuil de ses 50 ans, est une exception dans son monde professionnel généralement dédié aux hommes. Hydraulicienne, elle s’est frottée aux hommes sans complexe et à force égale, tout au long de son cursus scolaire et de sa carrière professionnelle.Le Filet d’O, votre compagnon fidèle des lundis vous invite à aller à la découverte de cette femme au parcours exceptionnel et plein de leçons. Suivez notre interview !Filet d’O : Parlez-nous un peu de votre parcours ?AKM : Admise au DEF en 1984, j’aurais voulu être une sortante de l’Ecole Nationale d’Ingénieur (ENI). Mais hélas, le destin en a décidé autrement. C’est à l’Ecole Centrale pour l’Industrie le Commerce et l’Administration (ECICA), année scolaire de 1984-85, que je fus orientée.A l’époque, dans cet établissement, les programmes de la 1ère et 2e année,consacrés aux Travaux Publics (TP), se faisaient en tronc commun. Ce n’est qu’en troisième année que l’on choisissait vraiment sa spécialité entre le dessin bâtiment, les TP et l’hydraulique. A ce niveau, sans détour, mon choix a été porté sur l’hydraulique.En quatrième année ou terminale, sur un effectif de 18 élèves, cinq étaient de nationalité malienne dont deux filles. Lesquelles étaient moi-même et une autre. Les parchemins en poche, après les succès aux examens de sorties et un stage éclair à la Direction Nationale de l’hydraulique, j’ai pu décrocher un stage à l’EDM. Au Centre de Perfectionnement Professionnel (CPP), mon stage a été encadré par feu M. Salif Bathily et M. Issiaka Omar Sanogo. Sous le coaching de ces deux professionnels, j’ai appris à tenir l’étau et à m’en servir pour couper un tuyau.Aux côtés de M. Boubacar Kane, à l’époque Chef Service Distribution et de Feu M. Thomas Kéïta, j’ai été initiée à la lecture du niveau du château et à son entretien, autrement dit nettoyage.

« Il ne faut pas compter l’effort mais plutôt la récompense, il faut fournir des efforts encore et encore. Le bien fait n’est jamais perdu ».

Certes, à l’école, j’ai acquis le diplôme, mais la vraie connaissance en hydraulique, je l’ai acquise sur le terrain aux côtés des hommes de valeur avec lesquels je partageais les équipes.Aucune considération pour le genre, j’étais mise à l’épreuve au même titre que les hommes. Et, je n’ai jamais montré un signe de faiblesse. La rareté fait la beauté, j’étais la seule dame parmi tous ces hommes. Ma devise était « je dois réussir partout où les hommes réussissent».Par la suite, en 1997 j’ai été recrutée à EDM-SA et envoyée au Centre de Koutiala sous la direction de M. Ladio Sogoba, en son temps Chef de Centre. Il m’a accueilli en ces termes : « Aissata, tu viens d’être engagée. On m’a raconté que tu es toujours au coude-à-coude avec les hommes. Ici, il n’y a pas un Chef de distribution eau. Es-tu capable de tenir ce poste ?». Ma réponse fut affirmative. Ainsi, m-a-t-il mise à l’essai pendant 18 mois à l’issue desquels j’ai été confirmée au poste.

« Il ne faut pas que les femmes aient peur mais il faut avoir le coeur net et du courage. A coeur vaillant, rien n’est impossible ».

J’avoue, cette période de test fut un vrai chemin de croix. Malgré mon statut matrimonial, fiancée, j’ai tenu le coup à la grande satisfaction de mes responsables hiérarchiques. Je saisis cette opportunité pour dire à mes soeurs et à mes filles présentement employées à la SOMAGEP-SA que le statut de Femme mariée n’est pas un handicap à l’atteinte des objectifs professionnels. Il s’agit juste d’être organisé pour joindre les deux bouts.Ma stratégie était simple. Le matin, j’élabore un programme de la journée portant sur mes activités professionnelles (dépannage en cas de panne, le devis et le branchement). A un moment de la journée, je vérifie l’état d’exécution du programme. Cependant, le programme des tâches familiales existe aussi. Il est exécuté sans porter atteinte au devoir professionnel.Les seuls moments de contraintes étaient les travaux de dépannage, généralement, non programmés. Même là, on est psychologiquement préparé pour y faire face. Je disposais d’un talkie-walkie, en absence des téléphones portables, pour répondre aux urgences sur le terrain. Notre force était l’esprit d’équipe et d’entraide.Je remercie mes collaborateurs (hommes) en cette période. En plus du soutien qu’ils m’ont accordé, ils étaient enthousiasmés lorsqu’ils me voyaient sur le terrain en train de travailler dur à leurs côtés.Qu’est-ce qui vous a poussé à être technicienne ?
« La rareté fait la beauté » vous disais-je plus haut. Je voyais peu de femmes qui empruntaient ce chemin. C’est la curiosité et la hargne de relever les grands défis qui m’ont guidé le pas.En plus, je voulais être une pionnière dans le domaine pour servir de repère aux jeunes générations. Par la Grâce d’Allah, le soutien de mon entourage familial, les encouragements du corps professoral et les encensements inter-promotionnels, j’ai pu atteindre mes objectifs.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
On n’en finira pas si je me mets à les égrener. La première qui mérite d’être citée est bien les préjugés et stéréotypes que mon environnement immédiat (familial, scolaire, professionnel) avait développé sur mes compétences intellectuelles, surtout les capacités physiques à s’adapter au métier de l’hydraulicien en tant que femme. Cette pression, à un moment donné, a failli fa ir e basculer le cours de mon destin. Car à force d’entendre ces jugements, j’ai failli me sous-estimer. Souvent quand je rentrais du boulot, toute couverte de boue, mon entourage ne cessait de me poser des questions sur mes activités de la journée et se demandai si je creusais des puits ou autres choses du genre. J’ai défié tous ces regards et même ceux portant sur ma façon de m’habiller à l’image des hommes. Je portais constamment, à l’époque, des pantalons jeans et des chapeaux. Avez-vous une expérience à partager avec nous ?
Après mon mariage, rapprochement de conjoint oblige, j’ai été mutée à Bamako et affectée à l’Agence de Lafiabougou en qualité de Chef d’Equipe de branchement. C’était en 2000. A ce poste, la rigueur dans l’organisation du travail était une exigence.

« On ne me faisait pas le malin. Si c’est pour faire le branchement, je peux serrer mon collier, mettre le robinet de prise, le tuyau et tout le reste jusqu’au compteur ».

Le matin, je me rendais au magasin, je choisissais mes matériels avec les magasiniers. Je sortais la quantité à utiliser dans la journée et quand il en restait, je les retournais au magasin. J’étais exigeante. Par la suite, j’ai été affectée à la Direction Centrale de l’Eau (DCO) au service compteur. Ici, je m’occupais de l’étalonnage des compteurs. Lesquels doivent passer à la vérification de fiabilité avant d’être déployés sur le terrain. A la création du Secrétariat Technique en l’an 2001, je fus appelée pour être le premier responsable à gérer cette structure rattachée de la Distribution. En ce moment, les conditions de travail étaient très pénibles. On enregistrait les informations sur les bouts de papiers en l’ absence d’ordinateurs. Cependant, en prélude à l’arrivée des ordinateurs, j’ai pris des cours d’initiation à la dactylographie pour me familiariser avec le clavier. A l’arrivée de l’ordinateur, je n’ai pas eu de difficultés dans le domaine de la saisie des documents. Par contre, j’avais besoin d’être formée à l’utilisation du logiciel EXCEL. Après plusieurs séries de formations, je suis parvenue à maîtriser l’outil.

Comment avez-vous fait pour combiner travail et vie de famille ?
Je suis parvenue à joindre les deux bouts grâce à mon sens élevé de l’organisation et à l’indulgence de mon époux, qui est du domaine. Il est arrivé, plusieurs fois, qu’il m’accompagne sur le terrain nuitamment pour réparer les fuites. Il a été d’un grand apport.

Quelle est votre plus belle expérience, celle que vous n’oublierez jamais ?
Le jour où j’ai effectué le branchement d’un client photographe à Koutiala. C’était très émouvant. Rien qu’à y penser maintenant, ça donne la chair de poule. Tant le client et sa famille étaient heureux d’avoir un robinet à la maison. En effet, il avait fait une demande de branchement que nous avons traitée et l’avons branché en moins de 48h. Le Client a surtout été marqué par la diligence qui a prévalu dans le traitement de son dossier surtout par une femme. Dès lors, il ne tarissait pas d’éloges à mon endroit à travers la ville. Il déclarait partout où il passait que j’irai loin dans l’exercice de mon métier. Je rappelle qu’après son branchement, il a même voulu nous donner de l’argent en guise de récompense. Chose que nous avons décliner sans ambages. C’est un grand plaisir d’entendre un client exprimer sa satisfaction après un service rendu.

Quel message avez-vous à l’endroit de la nouvelle génération ?
Je lui demande d’être courageuse, de se cultiver et de travailler dur. A mes soeurs et filles, surtout celles qui sont mariées, il faut l’accompagnement de vos conjoints. Communiquer avec eux pour qu’ils comprennent et partagent vos contraintes au service. C’est à ce prix qu’ils pourront vous accompagner dans l’atteinte de vos objectifs. Je le dis, haut et fort, une femme peut tout faire. C’est juste une question de détermination. Dans la collaboration, il faut imposer le respect par le travail et prouver son dévouement.

Quel est votre dernier mot ?
La SOMAGEP est une grande société qui a de l’avenir. J’aimerais qu’on valorise davantage les femmes en les nommant advantage aux postes de responsabilité. Certes, elles occupent des postes de Chef de service, Chef d’Agence, Chef de Département. Mais, pour le moment, aucune Directrice n’est sortie de ses rangs. J’invite la Direction Générale à faire sauter ce verrou car ce ne sont pas les compétences qui manquent.